Scène

Je tremble comme une feuille morte. Tout le monde est là dans la salle et je vais devoir monter sur scène. Heureusement je suis loin d'être seule, c'est l'avantage de la chorale, ça me rassure un peu.

Ca y est je monte les marches, toute de rouge vêtue, je passe devant mon professeur en costume-cravate pour l'occasion. J'ai déjà chanté dans une église mais là je sens que c'est différent.

Flash ! La lumière des projecteurs m'aveugle. J'étais moi et je ne suis plus personne. Je suis les "graves", je suis la chorale entière et je ne rêve que d'une chose : redevenir moi. J'ai toujours conscience qu'il y a mes parents dans la salle, et mon professeur d'Anglais au balcon. Je me dis qu'ils ne me verront pas et que de toutes façons je ne peux rien contrôler dans toute cette lumière. La première chanson me noie parmis les autres. J'essaie de chanter plus fort qu'eux, je veux prouver au monde qu'ils ne m'ont pas volé mon solo pour rien ! Mon solo ! Celui de la chanson suivante, le professeur me l'avait attribué, c'était le mien ! Mais j'avais cédé à la pression des filles du collège qui me harcelaient chaque jour pour que je laisse tomber. J'avais fini par me dire que ça n'était pas pour moi et j'avais abandonné...

Mais qu'importe, on ne m'avait pas laissée pour compte, en échange j'avais eu le droit de participer à un quintor sur la chanson "Armstrong". J'attendais ce moment avec impatience tandis que le reste de la chorale accélérait le rythme comme à son habitude.

Ca y est, enfin, mon tour était venu ! On me fait signe, je m'approche et monte sur une petite estrade individuelle, les autres filles font de même, je ne daigne pas échanger un seul regard avec elles : je suis trop absorbée par la découverte du public. Alors c'est ça que ça fait de ce côté de la salle quand on y voit quelque chose ? Quelle frayeur ! Je me positionne pour avoir à nouveau la lumière dans les yeux. Mon angoisse est à son paroxysme, j'ai peur d'oublier les paroles ! Je chante le troisième couplet, j'ai donc le temps d'écouter mes camarades...et pourtant j'ai beau les écouter je ne les entend pas : la voix dans ma tête est trop forte et si ça continue je n'arriverai jamais à me concentrer à temps !

Mon couplet arrive plus rapidement que prévu, par une chance incroyable les paroles sont exactes, je ne sais pas ce qu'il en est pour la justesse et le rythme mais une fois terminé j'en redemande : quoi ? C'est déjà fini ? De qui se moque-t-on ? Je veux y retourner ! Quelle déception : avoir angoissé pour si peu ça me ressemble mais c'est très frustrant.

Au final je ne saurais jamais ce que ce souvenir gravé dans ma mémoire a laissé au public. Il a réveillé en moi des choses que je croyais avoir rêvées, comme le texte de rap que j'avais écrit en primaire et qui avait été choisi par toute la classe pour faire partie du spectacle de fin d'année et dont finalement j'avais interprêté un couplet. Aurais-je un jour l'occasion de chanter plus qu'un simple couplet et un refrain sur scène ? Je l'ignore mais c'est peut-être mieux que toutes mes tentatives aient échoué quand on connaît l'angoisse provoquée par un simple oral...