J'ai encore des bleus partout sur le coeur, les larmes au bord des yeux à chaque battement. Même si je suis plus fragile que jamais, je ne veux pas laisser mourir le peu d'espoir qu'il me reste. "A toute personne, il faut un rêve. c'est comme une maison, elle a besoin de fenêtre." Je vais lutter pour réaliser les miens, peu importe le prix qu'il me faudra payer pour ça.
Je ne savais pas que c'était possible mais il semblerait qu'on puisse être nostalgique d'une période qui s'est achevée le matin même. Le mot "période" lui-même ne convient pas, ce n'était qu'une semaine.
Quand j'ai poussé la porte de la salle des professeurs de mon ancien collège lundi dernier j'étais littéralement morte de trouille comme à mon habitude devant toute situation nouvelle ou sortant de l'ordinaire. J'ai demandé si ma tutrice était là, on m'a répondu que non et on m'a invité à m'asseoir pour l'attendre. C'est un sentiment étrange que de passer de l'autre côté de la barrière, je pense que tu en sais quelque chose Liline, d'autant plus dans ces lieux si familiers qui sont encore pour moi chargés de souvenirs douloureux.
La tornade vient de passer la porte. Un petit bout de femme blonde aux yeux verts pétillants. Ce qui surprend peut-être un peu c'est sa voix, grave et surtout claire et puissante. Pas de doute, elle sait comment faire quand une classe devient trop bruyante ! Mais elle n'a rien d'un tyran, au contraire, elle considère qu'il ne faut pas exiger le silence absolu des élèves et que le plus important est qu'ils se sentent valorisés, qu'ils aiment ce qu'ils sont en train d'apprendre. Je crois que si j'avais été parmi ses élèves, j'aurais fondé le fan club. Elle court partout, a tout juste le temps de boire son café, de me présenter à ses collègues entre deux photocopies... Elle ne me laisse jamais seule, point non négligeable quand on sait dans quel état j'étais les deux premiers jours, elle m'accorde une partie importante de son temps là où elle n'en a que très peu pour elle-même. Elle m'explique qu'elle n'a que des classes de 6ème et 3ème, choix personnel que je ne peux qu'approuver après avoir vu une des classes intermédiaires (à savoir une 4ème) pourtant alors en plein devoir. C'est ainsi que j'apprends qu'il va me falloir faire face à des enfants... la peur au fond de mon ventre prend des allures de super-héros, proportions comprises. Je parle à peine, même pour saluer les personnes qui entrent dans la pièce, je déclare immédiatement ne pas me sentir capable de quoi que ce soit. J'ai réussi à la convaincre qu'il n'y aurait rien à en tirer... oui, souvent je ne me contente pas d'être minable, il me faut également m'en plaindre ouvertement. J'ai longtemps pensé que d'annoncer la couleur (en disant par exemple : "bonjour, je suis trop timide.") pourrait m'aider à combattre le mal en question. Après plusieurs essais je sais qu'il n'en est rien mais j'ai bien des difficultés à ne pas recommencer. C'est sans doute aussi pour avertir les gens que je suis au courant de ce qu'ils perçoivent de moi : vous avez remarqué que je suis coincée, je suis au courant, je fais des efforts alors pitié ne focalisez pas là-dessus ou je vais mourir de honte !
J'ai eu du mal avec le tutoiement. Outre le respect voire l'admiration que j'ai pour la profession qu'elle exerce, elle est impressionnante, fonce droit devant sans hésiter, sait exactement où elle va quoi qu'il arrive. Si ce n'est pas le cas, c'est l'image que j'en ai eu, une femme forte et résolue à aller de l'avant. Exactement ce que j'aimerais être en y réfléchissant bien. Elle me parle de l'agréable surprise que lui ont faite ses élèves l'année précédente après avoir vu "The Dead Poet Society" (Le cercle des poètes disparus, film culte, "must be seen" !!), ils ont décidé d'un commun accord de se mettre debouts sur leur table et de lui adresser le célèbre "Oh Captain, My Captain !". Imaginer la scène est déjà en soi assez incroyable, mais l'entendre en parler est encore plus touchant, c'est comme si l'espace d'un instant j'avais pu voir le lien unique de cet échange se matérialiser. Elle n'est pas seulement un bon professeur, ce n'est pas seulement parce qu'il m'a semblé partager ses valeurs, plus que ça ce que j'ai ressenti c'est qu'il s'agissait du genre de personne qu'on aimerait croiser plus souvent, dont il faudrait que notre petite planète soit peuplée pour la rendre rayonnante. Je souhaite vraiment à tout le monde de connaître dans son entourage quelqu'un d'aussi merveilleux. Est-ce d'ailleurs un hasard si elle connaît Yannick et Sandra ? Il faudra que je vous parle de ces deux amoureux là, après tout ils font partie de ma famille de coeur et il se peut même qu'ils continuent de me lire depuis le temps.
La première fois que j'ai pris place dans la salle de classe, il a suffit que toutes ces chères têtes blondes se retournent vers moi pour me déstabiliser quand ma tutrice leur a dit qui j'étais. S'il m'en faut si peu pour paniquer, c'est la fin des haricots ! Il va falloir faire ralentir ce rythme cardiaque, respirer, reprendre son calme. Ca ne devrait pas être compliqué. Je prends quelques notes, je suis et j'observe avec attention la participation active des enfants, la motivation communicative de leur professeur. C'est dingue, depuis le fond de la classe je n'en reviens pas. Dingue à quel point elle peut ressembler à Emma Thompson par moments (mon actrice favorite pour ceux qui ne le sauraient pas encore) ! Je vous jure, c'était à s'y méprendre... tout y était, coiffure, gestuelle, humour... ouais je sais, ça n'a rien à voir avec ce que j'étais en train de raconter, je m'égare !
Je n'ai pas vu le temps passer, chaque jour, chaque soir, cette question m'obsédait : en suis-je capable ? Est-ce que je peux vraiment me retrouver seule face à eux ? Qu'est-ce qu'il se passerait si j'échouais ? S'ils remarquaient que je n'étais pas à l'aise ? S'ils se mettaient à rire ou s'ils n'avaient pas envie de participer ?
Marcher jusqu'au collège le matin me permettait de décompresser un peu, je songeais à mon parcours : j'ai eu des doutes sur l'obtention de mon bac, j'ai ensuite eu des doutes concernant celle de ma Licence. Au final malgré ce manque de confiance qui me caractérise, j'ai tout de même passé ces épreuves. Ma formatrice pense que je me sous-estime. J'aimerais volontiers affirmer d'entrée de jeu que je suis à la hauteur de ce que l'on peut attendre de moi... la terreur de l'échec m'en empêche toujours, me fait réagir de façon étrange même pour moi, c'est physique, je ne peux pas lutter et pourtant c'est ce que je vais essayer de faire une nouvelle fois. Me dépasser, me prouver que je peux y arriver, si c'est aussi terrifiant c'est bien parce que j'en crève d'envie. Ma tutrice l'a parfaitement compris.
- Demain c'est le grand jour.
Je sais comment ça va se passer, je vais stresser, cette fois interdiction de prendre de médicaments, je veux vivre ça dans mon état normal (oui... bon en fait je ne les ai pas trouvés, il faut être honnête, au dernier moment j'ai changé d'avis mais rien de disponible !). Il y a une chose contre laquelle je ne pourrais rien faire : il me sera impossible de dormir.
- Tu vas pouvoir penser à tout ça entre 4h et 5h du matin quand tu ne dormiras pas...
J'éclate de rire, elle a lu dans mes pensées. Oui c'est tout à fait ça. En y repensant il n'y a pas une seule fois durant cette semaine où je n'ai pas été d'accord avec elle. J'ai eu l'impression qu'elle me comprenait quelle que soit la circonstance, sa présence m'a rassurée, je lui dois beaucoup, j'ignore si un autre professeur aurait pu me guider comme elle l'a fait, sans vraiment le dire, je me sentais protégée. Comme un chuchotement à mon oreille : "tout va bien se passer".
J'ai craqué pour ces adorables élèves de sixième, qui bondissent sur leur chaise, le doigt levé jusqu'au plafond pendant presque toute l'heure. Bien sûr, il y a quelques rappels à l'ordre, ils sont facilement distraits, mais on lit sur leur visage qu'ils ont plaisir à être là. L'adolescence ne leur a pas encore affublé de complexes, ils peuvent sans rougir prononcer un mot dans une langue étrangère devant leurs camarades. Les sourires que je reçois, les "good morning", "thank you" et autres "goodbye" remplissent mon coeur d'une joie que je n'avais jamais éprouvée auparavant. Il n'y a rien de comparable, être choisie puis devinée au jeu de la description peut apparaître comme une banalité, je ne m'y attendais pas du tout à celle-là, et à nouveau je me sens pousser des ailes. Je n'aurais pas dû me servir de ma mauvaise expérience en tant qu'enfant pour les juger maintenant que je suis adulte, c'était idiot de ma part, je le regrette sincèrement. Evidemment tout n'est pas tout rose, mais les difficultés ne m'ont pas offusquée, celles que j'ai pu apercevoir m'ont plutôt rendue triste, j'aurais aimé proposer une solution-miracle pour les effacer, je crois que ces gamins ont fait de moi une vraie guimauve...
et me voilà donc face à eux. J'ai tremblé mais je suis restée jusqu'au bout et mieux que ça : j'ai grandement apprécié !! Il me reste encore deux essais pour m'améliorer. Ma tutrice m'assure que les élèves n'ont rien remarqué de mon anxiété, pour la deuxième classe cependant il faut que j'essaie de rester calme. Je crois que j'y suis arrivé. Cela faisait une éternité que je n'avais pas été si fière de moi. C'est un peu comme apprendre à faire du vélo : c'est difficile au début mais une fois qu'on est lancé c'est parti ! N'exagérons rien toutefois, il ne s'agissait que de quelques minutes, pas d'une heure, mais j'ai eu l'impression de pouvoir vaincre le monstre en moi, de pouvoir le faire taire définitivement et sachant d'où je suis partie ce n'était pas gagné d'avance.
C'est déjà terminé. C'était trop court, j'ai envie d'y retourner là, maintenant, tout de suite, comme un enfant veut refaire un tour de manège. Et il va me falloir dire au revoir à ma chère tutrice. Comme elle va me manquer ! J'avais prévu de lui offrir un livre si jamais je passais le test sans trop de problèmes. Je lui ai demandé ses derniers conseils, elle pense que je m'en suis bien sorti, mon bonheur est total. J'ai eu peur de m'emporter, ça m'arrive souvent, mais j'ai décidé d'être spontanée, je me suis dit "tant pis si elle pense que j'en fais trop, c'est à la hauteur de ce qui secoue mon être à ce moment précis". Quand j'aurais pris ma décision pour le Master, je lui ai promis de la mettre au courant. J'ai besoin de prendre un peu de recul après toutes ces émotions, il ne faut pas que je me laisse bercer d'illusions, je n'ai vu que la surface de l'iceberg, même si elle me semblait déjà impossible à affronter. Je ne vais pas réfléchir trop longtemps, je n'en ai pas les moyens et je ne veux pas laisser le doute s'installer au sujet de mes capacités. Bien sûr, il y a peu de places et je n'ai jamais fait partie des meilleurs éléments, mais pour une fois je veux prendre une décision et croire que c'est la bonne, je veux aller jusqu'au bout à mon tour, sans plus baisser les bras.